En 2015, 40 % des Français ont cité le “Monopoly” comme étant leur jeu de société préféré. Une nouvelle version a été dévoilée le 10 septembre 2019, baptisée “Madame Monopoly”. L’idée : valoriser les innovations pensées par des femmes. Certains internautes dénoncent des clichés sexistes, dissimulés sous de bonnes intentions.
Buzz ou réel engagement ? Les internautes ont tranché. Ils reprochent au jeu d’accorder plus d’argent aux femmes dès le début de la partie, et à chaque passage sur la case départ. Selon eux, cela ravive le cliché de la femme dépensière, tricheuse, et n’agit pas en faveur de l’égalité. « Vous savez que de base dans le Monopoly, ya justement PAS d’inégalité homme-femme. Vous en AJOUTEZ une », peut-on lire sur Twitter, ou encore : « Seraient-elles trop bêtes pour jouer à la loyale ? Si j’achète ce jeu à ma femme, elle me quitte… », ironise un internaute. Une avance qualifiée de « méprisante » ou « humiliante ».
Contactée à ce sujet, la société Hasbro n’a pas répondu à notre sollicitation. Elle s’est en revanche justifiée dans un communiqué de presse, expliquant que c’était là un moyen de compenser les inégalités salariales de notre société. « Cependant, si les hommes jouent bien leurs cartes, ils peuvent aussi gagner plus d’argent. […] “Madame Monopoly” a été créée pour inspirer tout le monde, jeunes et moins jeunes, en mettant en lumière les femmes qui ont défié le statu quo », déclare le fabricant.

Alors, “Madame Monopoly”, une fausse bonne idée ? Certains dénoncent un sexisme se cachant derrière de bonnes intentions.
D’autres vont plus loin encore, en pointant du doigt les origines du “Monopoly”. Un jeu imaginé par une femme, puis racheté et revisité sans vergogne par des hommes…
Créé par Elizabeth Magie, volé par Charles Darrow
La première version du jeu s’appelait auparavant “Landlord’s Game” (“le Jeu du Propriétaire”). L’Américaine Elizabeth Magie en est à l’origine : elle l’a inventée et brevetée en 1904. Née en 1866, elle ne s’est jamais conformée à l’image qu’on attendait d’elle. Rebelle et indépendante, elle défend la cause des femmes dans la société. Elle refuse d’être réduite à son physique ou aux attributs prêtés à son genre. Fragile, délicate, silencieuse…
« Les filles ont des cerveaux, des désirs, des espoirs et des ambitions », a t-elle lancé au peuple américain. Le sexisme n’a pas été son unique combat. Elle dénonce aussi le capitalisme qui gangrène la société. Pour ce faire, elle s’inspire d’un livre prêté par son père, “Progress and Poverty”, écrit par Henry George. Elle sort de sa lecture avec une conviction : chacun est libre de disposer de la terre comme il l’entend.
Le jeu naît. Elle imagine, disposés sur un plateau, rues et monuments à vendre. À l’époque, plusieurs règles. Chaque joueur gagnait si l’un d’eux avait une nouvelle propriété. La partie était remportée par tous si celui ayant le moins d’argent en début de partie avait réussi à doubler son gain. En revanche, tous devaient s’acquitter d’un loyer si leur pion s’arrêtait sur une propriété des autres joueurs. Le grand gagnant étant celui s’enrichissant aux dépens des autres.

Elizabeth Magie voit son jeu comme une leçon de vie. Une manière de présenter les effets et conséquences d’une accumulation de terres et de richesse. “Landlord’s Game” séduit. On y joue chez les intellectuels de gauche, à l’université… Très vite, les quakers (la Société religieuse des Amis, un mouvement religieux anglais) s’y intéressent et inventent d’autres règles pour un nouveau décor.
Les noms des rues d’Atlantic City sont ajoutés. Charles Darrow, un homme au chômage, est un adapte de cette version revisitée. Il n’a aucun mal à en parler comme étant la sienne, et il se propose de la vendre à la société Parker Brothers. La supercherie ne tient pas. Parker Brothers découvre l’origine du jeu, mais ne fait rien pour accorder à sa créatrice le moindre crédit.
Le jeu “Monopoly” est commercialisé sans mentionner son nom. La société n’a retenu qu’une seule règle : le plus riche écrase les autres. Et quand on cherche à savoir quelle est la genèse du jeu, Parker Brothers a une réponse toute trouvée : Charles Darrow l’a imaginé dans un rêve…
Photo de couverture : Hasbro
Texte : Mélanie DOMERGUE
I use to like it when i was a kid:)